Il y a un an jour pour jour, l’un des rappeurs qui a eu le plus d’impact dans ma vie nous a quittés. Il nous a quittés de la même manière qu’il se comportait ici-bas : avec discrétion et humilité, en emportant avec lui sa technicité et son talent. Ses musiques demeurent aujourd’hui ce qui est arrivé de mieux au rap français.
Népal était de ces artistes qui n’accordaient pas de l’importance à la célébrité ; il réunissait un petit comité de fans, préservant toujours son identité en prenant soin de dissimuler toujours son visage, refusant également de s’exposer dans les médias ou les réseaux sociaux. Népal était uniquement connu par le prisme du collectif la 75ème session, de ses sons avec le rappeur Doums, et des featurings avec des artistes à la grande notoriété comme Lomepal ou Nekfeu – grand ami du défunt. C’est paradoxalement après l’annonce de son décès et la sortie de son album posthume que Népal a été mis en lumière. Nombreux de ses fans actuels – dont moi - ne l’ont connu que peu après son décès, renforçant le regret et la tristesse ne pas avoir saisi la chance de le suivre de son vivant.
Il m’arrive très souvent d’errer le soir sur la toile entre ses sons et ses clips et de regarder les commentaires laissés par ses fans, toujours frappés de bienveillance. J’ai pu constater que beaucoup de personnes écrivent des messages très personnels à destination du défunt en remerciant ce rappeur qui les a aidés et sauvés par le biais de sa musique. Népal était en effet un artiste accompli qui, en plus de sa technique dans l’instru et la voix, était doté d’une plume touchant en plein cœur les autres. Il avait un génie pour écrire les mots les plus pertinents, ceux qui pointent du doigt des émotions à la fois universelles et singulières, suffisantes pour créer une alchimie entre l’artiste et ses fans, puis ses fans et le monde.
Cette corrélation entre l’homme et le monde se fait ressentir à travers son album posthume Adios Bahamas. Ses musiques sont de prime abord liées à la mélancolie avec des instrus très calmes, l’atmosphère de la nuit et des errances dans les rues de la ville. Népal décrie ce système, ce monde absurde, ce manque de sens perpétuel autour de nous. C'était déjà le cas dans le clip de Rien d’spécial, où Népal nous transporte dans une flânerie nocturne qui concorde avec des paroles très pessimistes ; l’artiste décrit une vie sans but, rien autour de lui n’a de sens. Dans l'album, les paroles de Là-bas rejoignent cette idée d’un monde dépourvu de finalité :" On n'a pas choisi cette existence mais on en paye le prix / Notre monde ou bien cette vie / Est-c'que j'vois cette réalité comme une projection d'mon esprit ? / J'essaye juste de vivre". Dans Trajectoire, Népal semble jouer sur la sonorité de la phrase « J'vis mon rêve en silence et j'me prépare pour l'hiver » qui s’entend comme « J’vais mourir en silence et j’me prépare pour l’hiver ». Il y a une lecture très pascalienne à faire des textes de Népal. Il insiste sur cette vie fugitive dans laquelle l’homme n’est que de passage, et cet ennui perpétuel de l’homme qui ne sait quel sens donner à celle-ci: « Le démon reste hors d'atteinte tant qu'mon mental est en rotation /C'est pas important d'être riche si nos corps sont d'jà des locations ».
Toutefois, malgré une mélancolie apparente, Népal aspire à une paix intérieure. Les influences du Japon sont notables, notamment dans L’Opening qui est un texte en japonais. Cet Opening est une invitation à l’ouverture vers un ailleurs, vers un là-bas où l’on peut se réinventer. Voici un extrait de la traduction de ce texte japonais : "Si vous êtes simple spectateur de ce monde qui tombe en ruines, si vous vous êtes trompé de voie, il n'y a aucune raison de continuer à avancer. Tout en contemplant la mer, il se dit qu'il fallait dès maintenant avancer de nouveau. Une nouvelle aventure pour Népal : Adios Bahamas." Népal défend cette idée que, malgré les échecs et la contingence du monde, il faut persévérer, continuer à avancer et tenter d’atteindre une sérénité interne. En d'autres termes : se battre continuellement pour se réinventer et combattre un système qui ne nous correspond pas. Dans le son Ennemis, Népal met en évidence que notre ennemi n’est autre que nous même. Il s’agit de faire un travail sur soi afin de se libérer de notre négativité et de créer soi-même le sens que l’on souhaite donner à la vie. « Te laisse pas désarmer, la réalité, tu la crées en partie » (Trajectoire). Selon un commentaire d’un fan sur le site Rap Génius, Népal fait également référence au chakra dans son titre Daruma, concept issu de la religion hindoue. Le rappeur écrit « J’ai peint le ciel en couleur lavande », cette couleur étant la plus haute des sept chakras. Népal nous invite ainsi aspirer à cette élévation spirituelle afin de prendre de la hauteur sur ce monde absurde.
A travers ses sons, Népal nous emmène dans des pérégrinations métaphysiques et philosophiques. En outre, il nous invite à le suivre dans une quête initiatique afin qu’à notre tour nous puissions le rejoindre dans cette spiritualité supérieure et prendre du recul sur ce monde trivial. Je comprends donc les commentaires de ses fans qui le remercient de les avoir aidés à un moment de leur vie. A travers sa plume, Népal pointe sans tergiverser les angoisses de l’être humain, montrant ainsi que lui comme nous souffre de ce monde, mais qu'il faut tenter de s'émanciper de cette négativité, qu’il faut coopérer avec cette vie malgré tout. En écrivant cet article, je souhaitais comme nombreux de ses fans rendre hommage à ce rappeur qui, en accompagnant mes journées et soirées, me rend aussi la vie meilleure.
Emilie.
Pour la beauté du clip:
Pour la technicité d'un freestyle écrit en une heure :
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