Cela me tenait à cœur d’écrire quelque chose à propos de La la land, qui est sans doute mon film préféré. Pourtant, pour l’anecdote, la première fois que j’ai vu ce film je le détestais. Ce n’est qu’après un second visionnage que j’ai perçu certaines subtilités, et que j’ai compris la puissance de la fin du film. L’enjeux de cet article est simple : montrer en quoi Damien Chazelle a fait d’une simple comédie musicale une œuvre d’art.
Un film ambitieux (bref topo sur la réalisation).
Dans une interview sur C’est à vous, Damien Chazelle explique que l’idée de La La Land a germé dès l’université où il avait déjà l’ambition de créer une comédie musicale avec des scènes filmées dans la rue et dans la ville. Faute de moyens financiers il a d’abord réalisé Whiplash sans toutefois abandonner son projet initial. Il y est finalement parvenu et n’a jamais cessé de voir les choses en grand, et la première scène du film témoigne de son audace.
La La Land s’ouvre en effet sur un embouteillage, sur une autoroute de Los Angeles. Des dizaines de personnes sortent alors de leur voiture pour danser en rythme sur Another Day of Sun, musique qui est devenue le symbole du film. Cette première scène est déjà un projet ambitieux. Damien Chazelle explique qu’une partie de cette autoroute a été bloquée un weekend entier afin qu’ils puissent réaliser cette scène, qui est d’ailleurs filmée en un plan séquence (sur plusieurs minutes) avec la caméra qui est sans cesse en mouvement au milieu des danseurs. Rien que ça, pour les cinq premières minutes du film. Cela annonce la couleur.
Mais ce qui fait la beauté du film, ce n’est pas seulement les chorégraphies et les décors, mais avant tout ces musiques aussi belles les unes que les autres. Ce ne sont pas des morceaux canoniques de comédies musicales, mais bien des musiques qui peuvent être écoutées au quotidien. Cela peut être des morceaux festifs comme Another Day of Sun ou Someone in the Crowd, de piano comme City of Stars ou des musiques de Jazz comme Herman’s habit et Summer Montage. C’est cela aussi qui est ingénieux : chaque chanson a un thème différent et un ton propre, on les apprécie donc toutes différemment. Les sons jazzis sont majoritaires dans le film.
Une philosophie sur l’Amour.
Une rencontre amoureuse aux antipodes des clichés hollywoodiens
La la land c’est l’histoire de deux personnages : Mia et Sébastian. L’une veut devenir comédienne et l’autre est un passionné de jazz. Leurs premières rencontres sont des rencontres ratées : la première dans un embouteillage où Sébastian la klaxonne, Mia lui rétorque avec un doigt d’honneur. La deuxième dans le restaurant où Sebastian vient de se faire virer et bouscule violemment Mia qui vient d’entrer et d’écouter avec admiration sa musique. La troisième fois dans une soirée où Sébastian reprend des tubes des années 80 avec un piano électronique et où Mia se moque ouvertement de lui. Ce n’est qu’après ces rencontres pour le moins aux antipodes des « coups de foudre au premier regard » qu’ils finissent par se lier d’amitié.
Ces rencontres ratées sont déjà intéressantes en ce qu’elles brisent ce cliché des rencontres amoureuses que l’on retrouve canoniquement dans les films à l’eau de rose, et que l’on pourrait s’attendre de retrouver dans ce genre de comédie musicale. Finalement cela montre avant tout que l’on peut tomber amoureux d’une personne qui ne nous serait jamais venue à l’esprit et que les premières rencontres ne sont pas nécessairement réussies. Il faut souvent entrer dans l’univers de l’autre pour découvrir la personnalité d’autrui et se rendre compte que l’on veut la découvrir davantage. L’amour n’émane pas ex nihilo, les coups de foudre sont idéalistes. Pour tomber amoureux il faut avoir été invité d’abord à faire un pas dans l’univers de l’autre puis le partager. C'est ça avant tout, l'amour.
Un amour qui n’a pas fonctionné
On pourrait dès lors imaginer que leur relation se déroulerait parfaitement bien, ou du moins qu’après la "scène de la dispute" ils se réconcilieraient et que la fin s’achèverait sur leur parfaite idylle amoureuse. Mais il n’en est rien, encore une fois La la land brise ce cliché des films hollywoodiens, d’un « happily ever after ».
Le long du film, Mia et Sebastian se soutiennent et se poussent l’un l’autre dans leurs projets et leurs rêves. Ils ne doutent à aucun moment des ambitions de l’autre, bien qu’elles paraissent idéalistes (Mia rêve d’être une comédienne reconnue, et Sébastian souhaite pouvoir vivre du Jazz). Ils semblent alors vivre dans une bulle de rêves et d’utopies. Sebastian intègre d’ailleurs un groupe de jazz très connu qui d'ailleurs désole Mia car elle ne reconnaît plus son compagnon avec ce jazz electronique revisité. Parallèlement, Mia est finalement repérée et a la possibilité de faire une carrière dans le cinéma.
Mais bientôt la réalité frappe de pleins fouets ces deux amoureux fougueux. Les deux amants se rendent compte qu’avec leurs professions respectives leur amour est compromis. Ils décident de poursuivre chacun de leur côté leurs rêves et se jurent de s’aimer pour la vie en espérant se retrouver plus tard. Le film devient à présent l'histoire de deux êtres qui s'aiment mais qui sont contraints à mettre fin à leur relation afin de poursuivre leurs projets individuellement.
Le contraire d’un « happy ending » ? Analyse de l’épilogue.
Le film aurait pu s’achever sur cette retrouvaille espérée. Cependant, après une ellipse de quelques années on est surpris de voir Mia aux bras d’un autre homme et avec un enfant. Elle est devenue une comédienne célèbre, et par un concours de circonstance elle se retrouve accompagnée de son mari dans le nouveau restaurant de Sebastian qui lui aussi a réussi son rêve : il tient son propre club de jazz. Ils se remarquent tous les deux et Seb joue au piano un morceau qu’il avait écrit lorsqu’ils se sont rencontrés. Finalement, Mia repart du restaurant avec son mari, mais avant de partir elle et Sébastian s’échangent un dernier regard. Leur idylle ne continuera jamais.
Cette fin est en réalité très puissante. Avant ce dernier regard défilent des images de leur relation en retrospective, de ce qu’ils auraient pu devenir si les choses avaient été autrement (c’est la scène nommée Epilogue). La mise en scène est simplement sublime. On revoit par flash back certaines scènes du début de leur amour qui progressent sous un medley de toutes les musiques du film. On voit dans ces projections rêvées les deux personnages qui arrivent à trouver le juste équilibre entre leur amour et leur passion. Ce sont en fait des images de la relation parfaite qu'ils auraient eue à deux s'ils avaient abandonné leurs rêves pour se consacrer à leur amour. On les voit avoir un enfant à deux et vivre le parfait amour qu’ils n’ont finalement pas vécu. Cette scène reste ambiguë puisque l’on ne sait pas si ce sont des images que rêvent réciproquement les deux personnages, ni si ce sont des regrets ou une simple nostalgie. Quoi qu’il en soit, Mia part avec son mari et ce départ semble signifier qu’elle refuse Sébastian, qu’elle choisit cette nouvelle vie et qu’elle est épanouie ainsi.
Faut-il alors voir dans cette scène le contraire d’une fin heureuse ? Cet épilogue nous rend triste, puisque finalement leur amour n’a pas su surmonter les épreuves auxquelles ils ont été confrontés. Pour autant, Mia prend la décision de partir. Ce choix semble assumé. Le dernier regard qu’ils s’échangent semble être, plutôt qu'une désolation, un remerciement l’un envers l’autre, un peu comme un « merci de m’avoir soutenu dans mes rêves, d’avoir fait un bout de chemin avec moi, maintenant la vie continue. » C’est là que l’on voit que l’amour n’est pas toujours synonyme d’un amour qui dure toute une vie. Damien Chazelle nous montre avant tout que la vie est bercée de rencontres, de personnes qui viennent et repartent, comme sur une scène de théâtre. Les belles rencontres ne nous suivent pas nécessairement toute notre existence, mais parfois une personne apparaît à un moment de notre vie, nous aide à avancer, nous apporte quelque chose et finalement repart. Il faut alors voir cette rencontre comme une chance que l’on a eue, et accepter que tout n’est pas fait pour durer éternellement. C’est une vision presque pessimiste de la vie : tout rêve ou tout amour ne peut être parfait. Un projet peut ne pas se réaliser, tout comme une relation amoureuse peut se terminer. Mais il faut savoir constater avec le recul nécessaire que ces échecs peuvent parfois être des aubaines : un rêve irréalisable peut amener à d’autres projets, une rupture à une nouvelle rencontre. La vie serait sans doute trop simple, trop idéale si l'on pouvait tout obtenir et tout concilier.
"Je suis ému par l'idée que l'on peut rencontrer quelqu'un au cours de notre vie qui nous transforme, nous guide vers un chemin qui nous permettre de devenir la personne que l'on a toujours voulu devenir, même si au final, on a besoin d'emprunter ce chemin seul. On peut avoir une relation qui va changer le reste de notre vie mais pas durer le reste de notre vie. J'ai trouvé ça à la fois beau, déchirant et merveilleux. Je voulais que le film soit à propos de ça" Damien Chazelle.
Emilie.
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